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Une Enquête de Desmantes et Bottet - Début

Chapitre 1

 

On était pas encore en automne, mais à cette heure-là il faisait frisquet. On a pas idée d'être là sur un quai de gare dans ce bled paumé en pleine nuit. En plus des frissons provoqués par l'air frais, il y a ceux, plus subtils, qu'apportent avec elles l'inquiétude et la méfiance. C'est mal éclairé, le bâtiment est moche, les carcasses de trains font penser à de gros serpents échoués sur les rails, bref c'est glauque.

 

Il lui fallait vraiment une excellente raison pour attendre des plombes comme ça à 23h à la gare de Tilloy Les Mofflaines. Le fait que sa coéquipière ne soit pas capable d'attraper un train à l'heure n'était pas une assez bonne raison. Mais le chef avait donné ses ordres: vous coopérez! Avec sa barbe qui frémit quand il grommelle et ses gestes impatients. Elle n'aime pas beaucoup son chef. Mais c'est le chef. Elle fait ce qu'il lui dit. Donc elle est là, sur le quai, à se les geler, parce qu'il faut être solidaire avec cette tête en l'air de binôme qui arrive à 23h06 au lieu de 19h21 par le même train qu'elle.

 

Elle entend l'annonce caractéristique de l'arrivée du train. Enfin. La voix donne des consignes très précises, mais Lou s'en fout, elle ne s'éloigne pas de la bordure du quai. Le train la frôle presque. Il lui faut un temps infini pour ralentir et s'arrêter, et l'infini plus 20 secondes pour que le Sergent Hélène Bottet se décide à en descendre. Elle est la seule à sortir du véhicule. Personne ne descend à Tilloy Les Mofflaines.

 

Lorsqu'Hélène repère Lou dans l'ombre, son visage s'illumine, et elle lui fait un grand signe de la main, ou plutôt du bras, l'agitant vivement au-dessus de sa tête. Ça a le don d'agacer Lou. Comme presque tout ce que fait sa partenaire de travail. Elle est trop enjouée, trop enthousiaste, elle rit pour un rien, elle est sympa avec tout le monde... C'est too much, elle en fait toujours des tonnes. Et son arrivée cette nuit n'échappe pas à la règle, elle a l'air parfaitement ravie d'être là. Lou se renfrogne encore plus.

 

- Bonsoir bonsoir! Merci d'être venue me chercher, c'est vraiment adorable de votre part! On m'a dit qu'il allait faire froid mais je trouve que ça va avec ma petite veste! Ben dis-donc il n'y a pas grand-monde ici! Ça fait longtemps que vous attendez?

- Oui, répond Lou.

 

Puis elle fait volte-face et se rue sur les escaliers, la sortie, vite, elle en a marre. Hélène la suit à petits pas rapides, son sac de voyage sur l'épaule, le sourire toujours bien en place.

 

Le trajet à pied jusqu'à l'hôtel n'est censé durer que 12 minutes, à l'aller elle l'a fait en 10, mais au retour, dans le dédale de ruelles, mal voire pas éclairées du tout, elle doute du chemin, marchant plus lentement pour décortiquer son environnement, cherchant des yeux le panneau indiquant l'entrée de l'établissement tant espéré. À la dernière intersection, elles ont pris à droite, mais il fallait peut-être aller encore un peu tout droit avant de tourner? Cette maison de sorcière biscornue ne rappelle rien à Lou, elle ne l'a pas vue à l'aller. Elle rebrousse chemin, Hélène sur ses talons.

2 minutes plus tard, c'est confirmé, elles sont perdues. Le chemin est de plus en plus étroit et s'engage dans la forêt, pas du tout dans la rue recherchée. Il est temps de ranger sa fierté dans sa poche et de s'en remettre à Google Maps. Lou sort son portable et commence à chercher. Hélène, le nez au vent, s'extasie sur la taille des arbres, sur la fraîcheur du fond de l'air, sur l'obscurité qui les enveloppe. Vite, rejoindre l'hôtel, la chambre, le lit king size, ne plus entendre son babil, être enfin seule.

 

Pendant que Lou pianote, priant pour avoir assez de réseau, sa coéquipière fait quelques pas sur le bord du chemin, jette un œil par terre dans l'ombre du talus, repère des ordures jetées par des automobilistes peu respectueux, pousse un soupir face à cette pollution d'un joli petit coin de campagne paradisiaque. Elle va se lancer en elle-même dans une réflexion sur l'écologie et l'enseignement dès l'enfance du respect de la nature, quand une forme étrange se dessine un peu plus loin, dans l'herbe, une forme ovale au sol, bien plus grosse que les autres déchets. Hélène plisse les yeux, se tourne vers Lou toujours occupée, et décide de faire quelques pas en direction de ce tas non identifié; un buisson? Un animal peut-être? Prudente et discrète, elle se rapproche, sort son téléphone de sa poche, allume la lampe, et la dirige doucement vers l'objet.

 

Ça y est, elle a trouvé. En effet elles vont devoir rebrousser chemin, prendre tout droit devant la maison flippante, et ensuite seulement à droite. Lou remercie silencieusement son GPS, et lève la tête pour chercher du regard sa compagne de galère. Personne. Où est-elle allée se balader? Pas question d'attendre une minute de plus, Lou veut rentrer à l'hôtel, au chaud, prendre d'assaut le minibar (il y a un Bounty dedans), se vautrer devant la télé, bref se détendre avant de commencer sa mission aux aurores. Elle va ouvrir la bouche pour crier le nom d'Hélène, mais la voix de celle-ci lui coupe l'herbe sous le pied:

 

- Lieutenant Desmantes?

- Quoi Hélène?

- Heu... Il faut que vous veniez voir ça.

- On a pas le temps Hélène, il faut rentrer se coucher, venez! s'impatiente Lou.

- Mais, lieutenant, là c'est vraiment... Vraiment...

- Venez c'est un ordre!

 

S'exécutant après un court silence et un fugace éclair blanc, la jeune Hélène revient près du chemin d'un pas décidé, brandissant son téléphone, et vient le coller sous le nez de Lou. D'un ton presque autoritaire:

 

- Lieutenant, sauf votre respect, faites-moi confiance, et regardez ça.

 

À contrecœur, mais un peu impressionnée par le ton assuré de sa subordonnée, la Lieutenant de Police Judiciaire Lou Desmantes obéit, et ouvre de grands yeux sur la photo prise au flash qui s'affiche sur l'écran. Elle retient son souffle avant de lâcher un simple:

- Mais...

- Oui, enchaîne Hélène. Je sais que je suis nouvelle dans ce métier et que je n'ai pas votre expérience, mais ça, lieutenant, je suis à peu près sûre que c'est un cadavre.

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